Brief des amerikanischen Anthropologieprofessors Bruce Whitehouse, LEIGH University Pennsylvania, der ein Jahr in Bamako lebte und lehrte, an einen malischen Freund. Das Blog BRIDGES FROM BAMAKO richtete er 2011 ein und führt es nach seiner Rückkehr im Juni 2012 sporadisch weiter. Mehrere seiner Eindrücke und Analysen wurden schon in den MALI-INFORMATIONEN veröffentlicht => hier zu finden
Wir stellen hier seine eigene französische übersetzung und darunter das englische Original ein.
Lettre du professeur d’anthologie américain Bruce Whitehouse, LEIGH University Pennsylvania, qui a vécu et enseigné à Bamako pendant une année, lettre adressée à son ami malien. BRIDGES FROM BAMAKO est un blog qu’il a lancé pendant son séjour et qu’il continue sporadiquement après son retour aux E.-U. en juin 2012.
Changement et désespoir : lettre d’un ami américain
Bridges from Bamako – November 11, 2016
by brucewhitehouse
Mon cher Lamine,
Tu m’as demandé, une fois les résultats du scrutin présidentiel américain connus, “Comment cela a-t-il pu se produire ? Comment la démocratie la plus puissante du monde a-t-elle élu un démagogue déséquilibré à la présidence ?”
Comme beaucoup de mes compatriotes, j’ai du mal à accepter cette nouvelle réalité. Ma réponse à la victoire électorale de Donald Trump cette semaine n’était pas seulement faite de déception ou de désespoir. J’ai plutôt eu le sentiment inquiétant que mon pays ne ressemblait pas à ce que je pensais. « Sonné », envahi par le chagrin et l’anxiété, j’ai passé quelques jours comme paralysé par la crainte, incapable d’affronterl’énormité de ce qui se passait.
Et puis, je me suis rendu compte que j’avais eu ce même sentiment dans le passé, à Bamako, en mars 2012.
Tu te souviens bien sûr que nous étions tous deux à Bamako quand les soldats en colère ont renversé le gouvernement. Humiliés par les avancées des rebelles et dégoûtés par les élus, des soldats maliens, menés par un certain Capitaine Sanogo, ont pris le contrôle de l’état et ont mis fin à ce qui était considéré comme une démocratie multi-partite imparfaite, mais en marche. Quel étonnement que presque personne ne s’y soit opposé et qu’il y ait même eu des scènes de liesse dans les rues bamakoises. Les Maliens comme toi ont toujours marqué leur soutien au processus démocratique. Même si je savais que vous n’étiez pas satisfaits de vos hommes politiques (comme tout le monde d’ailleurs), je ne comprenais pas la profondeur du mécontentement. Je supposais simplement qu’on allait tenir bon jusqu’aux élections pour attendre une amélioration.
Ce que j’ai assez vite saisi, c’est que beaucoup, sinon la majorité des Maliens, se sentaient méprisés par un gouvernement et une élite politique qui se servaient sévèrement au dépens des citoyens lambda. Tu ne pensais pas que le système, qui ne semblait produire que de la corruption, un manque d’opportunité et une inégalité croissante, pouvait faire mieux. Te souviens-tu m’avoir dit que le vote du peuple ne comptait pas, que le prochain président du Mali serait choisi par une cabale d’hommes politiques en catimini ? Pas mal d’autres Maliens considéraient leur démocratie comme illusoire aussi. Ils ne pouvaient pas dépendre des initiés du système pour régler leurs problèmes et ils ont donc jugé le coup d’état comme un choc nécessaire au système.
Lamine, durant cette année, le sentiment public ici, aux E-U, présente des points communs avec celui qui prévalait à Bamako en 2012. Nombre de mes concitoyens se sentent exclus du système politique. Troublés par les changements démographiques et économiques du pays, ainsi que par les menaces sécuritaires à l’extérieur, croyant le système truqué, ils ont préféré un pari risqué sur un “outsider” à la fausse sécurité du statu quo. Que l’on ne se “Trump” pas : nombre d’entre eux ont également été motivés par la crainte… des immigrés, des musulmans, de ceux que ne leur ressemblaient pas. Beaucoup aussi n’étaient pas prêt à voir une femme comme chef suprême des armées (même s’ils ne l’admettront jamais). Pourtant, l’unique désir partagé par tous les Trumpistes, c’était le changement–parce qu’ils ne croyaient plus à l’alternative.
Tu voulais savoir ce à quoi on doit s’attendre avec Trump. Personnellement, je pense que son administration se montrera aussi incohérente et sa direction aussi incompétente que celles du Capitaine Sanogo. Comme Sanogo, Trump communique d’une façon brusque mais habile, et il sait bien manipuler les craintes et les soupçons de ses citoyens. Comme Sanogo, c’est un homme obsédé de lui-même et de sa grandeur. Mais également comme Sanogo, Trump n’a aucune solution pratique à proposer ; il est aveugle à ses propres limites et il guette sans cesse ses ennemis (on dit qu’il en fait une liste).
Nous connaissons bien le sort de Sanogo : son régime s’est vite perdu dans le maintien du pouvoir et la commission de crimes haineux, pour lesquels il sera jugé fin-novembre. Nous connaissons d’ailleurs le sort du Mali qui ne vit que sous perfusion de la communauté internationale. Je parie que la plupart de tes concitoyens, même ceux qui soutenait Sanogo à l’époque, regardent son règne court comme une faute tragique. Peut-être les Trumpistes regretteront-ils aussi un jour leur choix (selon David Brooks, Trump “va soit démissionner, soit se voir inculpé d’ici un an”).
Ton pays et le mien, Lamine, ont des cultures et des systèmes de gouvernement très différents. La pauvreté et la faiblesse des institutions de l’état sont certes plus graves au Mali qu’aux E-U. Mon séjour au Mali m’a appris que la démocratie est une chose très fragile. Ce scrutin présidentiel m’a appris que, du point de vue politique, les Maliens et les Américains sont beaucoup plus semblables que je ne le pensais auparavant. Pourtant, malgré ce qui s’est passé au Mali depuis 2012, et malgré ce qui s’est passé aux E-U cette semaine, j’espère que le but d’une société stable et inclusive reste à la portée de nos deux peuples. Que Dieu nous protège de ceux qui nous écarteraient de ce but.
Amicalement,
Bruce
Despairing for change: A letter to a Malian friend
bridgesfrombamako – November 11, 2016 by brucewhitehouse
Dear Lamine,
You asked me, once the outcome of the 2016 US presidential election was apparent: How could this happen? How could the world’s most powerful democracy elect a volatile demagogue to the highest office in the land?
Like many around me, I have struggled to come to terms with this new reality. My reaction to Donald Trump’s victory this week was more than mere disappointment or even despair. It was the unsettling sense that this country was not the place I’d thought it was. Stunned, chagrined, anxious, I went through the next few days with a numb feeling of dread, trying to process the enormity of what was happening around me.
Then it dawned on me: I’ve had this feeling before. Bamako, March 2012.
Of course you remember that time–we were both there when Mali’s ruling establishment was upended by angry soldiers. Stung by recent rebel advances and disgusted with their elected leaders, Malian soldiers led by a certain Captain Sanogo took over the government and put an end to what had been considered a functioning if somewhat under-performing multiparty democracy. It surprised me that hardly anyone in Mali tried to oppose them, and that jubilant crowds even celebrated their takeover on the streets of Bamako. Malians like you had always said you were in favor of the democratic process. I knew you were dissatisfied with your politicians (who isn’t?), but I hadn’t realized just how deep the discontent ran. I simply assumed people would hold out for improvements following the next elections.
What I soon understood was that many, perhaps even most Malians felt they had been spurned by both a government and a political elite that had callously served its own needs at ordinary citizens’ expense. You had little faith in the system to deliver anything but more of the same–corruption, lack of opportunity, and rising inequality. Remember when you told me before the coup that voting was irrelevant, that Mali’s next president would really be chosen by a clique of politicians behind closed doors? A lot of other Malians felt their democracy was a sham, too. They didn’t trust political insiders to fix it, and they saw the coup as a necessary shock to the system.
Lamine, for the past year the public mood here in the US has felt a lot like the mood in Bamako back then. A great many of my fellow Americans feel left out by their government and political system. Troubled by economic and demographic changes at home and by security threats abroad, believing that the system was rigged, they decided to take a risk on an outsider rather than stick with the status quo. Make no mistake: many of them were also motivated by fear–of immigrants, of Muslims, of people different from themselves. Many also weren’t ready to see a woman as commander in chief, even if they would never admit as much. But the one thing all Trump’s supporters seemed to desire was change, because they didn’t trust the alternative.
You wanted to know what we can expect from Trump. Personally I think his administration will prove as incoherent and his leadership as incompetent as Captain Sanogo’s did. Like Sanogo, Trump is a brusque but skilled communicator who plays expertly on the fears and suspicions of ordinary citizens. Like Sanogo, he is a man obsessed with himself and his greatness. But also like Sanogo, Trump has no practical solutions to offer, is blind to his own failings and is constantly in search of enemies (apparently he’s keeping a list).
Of course we know what happened to Sanogo: his regime quickly got carried away with ensuring its own survival and committed some heinous crimes, for which he’s set to be judged later this month. And we know what happened to Mali: the country is now on international life support. I suspect that most of your fellow citizens today, even those who supported Sanogo back then, look back on his brief period of rule as a tragic mistake. Who knows, maybe a lot of Trump supporters will feel the same way someday (David Brooks thinks Trump “will probably resign or be impeached within a year”).
Your country and mine, Lamine, have very different cultures and systems of government. Mali certainly has far greater poverty and weaker state institutions than the US. My time in Mali taught me that democracy is a very fragile thing. This election taught me that, at least politically speaking, Malians and Americans are much more alike than I used to think. But despite what’s happened to Mali since 2012, and despite what happened in the US this week, I hope the goal of a stable, inclusive society is still within reach for both our peoples. May God protect us from those who would deny that goal.
A bientôt,
Bruce
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